furtif instant

Les feuilles poussaient à un rythme effréné.  On aurait dit qu’elles profitaient toujours  d’un moment ou je ne regardais pas pour sortir du bourgeon. J’avais beau fixer mon objectif sur ces boutons, je ne pouvais jamais saisir le moment précis où elles se déployaient. Elles n’étaient pas là et soudain elles y étaient.

Les fougères, transperçaient le sol d’un coup sec,  se recroquevillaient comme des ressorts de dentelles, et explosaient vers le ciel. Tout cela à mon insu.

Pareil pour les fleurs.   Comme si le fait de ne pas les regarder les inspiraient à naître davantage.   Alors j’épiais, avec mon appareil photo, mais n’ayant pas l’air de le faire dans l’espoir de me laisser surprendre par l’instant furtif.

Et c’est ainsi que je ne réussis jamais à prendre cette  photo.

Pas un seul cliché parmi les dizaines que j’avais pris, ne réussi  à susciter le degré d’émotion qu’aurait dû provoquer la capture de ce moment.  Même celle où la poussière en suspension au dessus du bourgeon débordant, s’installa sur ma carte mémoire sans que je  sache quand exactement.

L’insaisissable instant se déroulait en continue, sans début ni fin. Pas de formule mathématique pour prédire sa venue.  Je constatais  humblement, la grandeur de la vie versus la petitesse de mon objectif.

Je m’installais dans un rayon de soleil question de réchauffer  la  stupeur qu’avait causé cet émoi. Question de faire durer mon ravissement  soudain de constater que tout ou presque tout m’échappe.

Cr 21 mai 2013

Montagne

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Je suis montagne.
Avec ma cime enneigée, mes replis humides mes veines tumultueuses, mes crevasses pleines d’épaves qui racontent des histoires.
Je me ris de la pluie du vent du tonnerre et des éclairs.
Je suis la compagne des solitaires, on m’ascensionne dans un souffle de confidence. Je sais garder un secret.
Je grouille d’amis venus m’habiter, me défier.
Je me dresse au dessus des nuages le plus haut possible loin du bruit des villes. J’oublie la terre et ses commérages. J’attrape la lumière, et l’offre en arc-en-ciel. Je courtise les lunes jusqu’à leur pleine rondeur. Je suis infidèle.
Mes rires saccadés en avalanche et mes crachats glacés, sculptent mon profil de Tout-Puissant.
Je protège ma source. Eaux cristallines, limpides, d’une pureté sans nom, à jamais cachés dans mes grottes profondes.
Le temps me va bien. Je deviens ronde et facile. Le vent me chatouille et je ne gronde plus.

Carole
26 septembre 2012